Exportation de bois: plus de 173 milliards de FCFA non déclarés par le Cameroun
C’est le montant non soumis par les officiels camerounais à Comtrade de 2013 à 2016 dans le cadre de l’exportation du bois du Cameroun vers l’Italie, les Usa, le Vietnam, la Chine et la Belgique. Cependant, les devises dévoilées par ces derniers sont parfois le double de celles du Cameroun. Entre temps, les services camerounais n’ont rien déclaré de 2017 à 2020. Interrogés, black-out à Yaoundé.
Le Cameroun a une immense forêt qui fait régulièrement l’objet de tout type de convoitise. Seulement, ce couvert végétal parmi les plus importants du bassin du Congo, 2ème forêt tropicale au monde après l’Amazonie, cache d’immenses trafics de toute sorte allant de la corruption, à la coupe illégale de bois en passant par des détournements massifs de devises liées à la commercialisation du bois. Pour ce dernier cas, les données collectées dans Comtrade, une base de données des Nations Unies orientée vers le commerce officiel international, montre de fortes disparités des devises sur du bois importé du Cameroun par certains pays asiatiques et occidentaux.
L’on constate notamment que, entre 2016 et 2020, les cinq principaux pays importateurs de marchandises classées sous le code SH 4407 (Bois scié ou dépecé dans le sens de la longueur, tranché ou déroulé, même raboté, poncé ou collé par assemblage en bout, d’une épaisseur supérieure à 6 mm) sont la Chine, le Vietnam, la Belgique, l’Italie et les États-Unis.
Cependant, le Cameroun n’ayant pas communiqué de statistiques commerciales à l’ONU depuis 2017, nous ne sommes pas en mesure de comparer les chiffres déclarés par les pays importateurs de 2016 à 2020 à ceux déclarés par le Cameroun au cours de la même période. Néanmoins, au cours des cinq années c’est-à-dire de 2013 à 2017, les données de l’ONU montrent de grandes disparités entre les valeurs commerciales déclarées par les importateurs de bois camerounais et les valeurs commerciales déclarées par le Cameroun du bois exporté vers ces pays.
C’est ainsi que sur cette période, la Chine a déclaré US$ 337 512 365 d’importations de bois en provenance du Cameroun, tandis que ce dernier déclare US$ 212 750 925 d’exportations de bois vers la Chine au cours de la même période et sur la même marchandise- d’où un écart de valeur commerciale de US$ 124 761 440. Sur la même période, le Vietnam a déclaré US$ 107 970 358 d’importations de bois en provenance du Cameroun, alors que le Cameroun a déclaré US$ 62 397 541 d’exportations de bois vers le Vietnam au cours de la même période – ce qui donne lieu à une différence de valeur commerciale de US$ 45 572 817.
L’Italie quant à elle a déclaré US$ 192 977 190 d’importations de bois en provenance du Cameroun, tandis que le Cameroun a déclaré US$ 164 492 16 d’exportations de bois vers le Vietnam au cours de la même période, ce qui donne lieu à une différence de valeur commerciale de US$ 28 485 021. Et enfin sur la même période, l’on constate que les États-Unis ont déclaré US$ 165 172 494 d’importations de bois en provenance du Cameroun, alors que le Cameroun a déclaré US$ 87 842 884 d’exportations de bois vers le Vietnam au cours de la même période – ce qui entraîne une différence de valeur commerciale de US$ 77 329 610.
Explications
Plus d’un mois après avoir adressé une demande d’accès à l’information, toutes les administrations publiques concernées, notamment la Douane, le Ministère des Finances, celui des forets-impliquées dans les questions de bois et de commerce extérieur n’ont daigné répondre. Parmi les ambassades impliquées, seule celle des Usa à Yaoundé a réagi. Les données mises à notre disposition pour comparer viennent du Bureau du recensement des États-Unis qui rassemble tous les chiffres du commerce international du pays de l’oncle Sam. L’on constate alors que ces données ne sont pas différentes de celles de Comtrade.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des médias de la sous-région portent des investigations sérieuses sur le sujet. En janvier 2021, le site d’information en ligne Info-Congo spécialisé sur le journaliste d’environnement, note que « 32 milliards Fcfa de fausse facturation dans le trafic illégal de bois entre le Cameroun et le Vietnam ». L’article indique notamment une « faible contribution du secteur forestier aux recettes budgétaire » qui s’explique par « la corruption, le commerce illicite de bois, les coupes illégales et les fausses facturations dans le secteur ».
Plus grave, dans un rapport publié en novembre 2020 par le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) et son partenaire Environnemental Investigation Agency (EIA), l’échange avec le Vietnam est fort illustratif à ce propos avec à la clé, le vaste trafic forestier illicite au Cameroun. «Les registres officiels révèlent que ce commerce est massivement sous-deÌclareÌ du coÌ‚teÌ camerounais » révèle ledit rapport. En effet, « il existe un écart important entre la valeur des produits dérivés que le Cameroun déclare comme étant exportés vers le Vietnam, et celle que le Vietnam déclare comme étant importés du Cameroun. Cet écart est particulièrement frappant pour le commerce des grumes. Entre janvier 2009 et décembre 2017, l’écart total s’élevait aÌ€ 420 millions de dollars (soit 356 millions de dollars US pour les grumes et 63 millions de dollars US pour les produits transformés). La valeur de l’écart s’est non seulement accrue presque chaque année, mais la proportion de la valeur a aussi eÌteÌ faussement déclarée (de 36% en 2009 aÌ€ 54% en 2017, avec une moyenne annuelle de 41%) ».
En analysant les données collectées à diverses sources, il apparait que la pratique est généralisée, à plusieurs pays importateurs de bois au Cameroun qu’importe la forme de bois. Si ceci peut expliquer ces disparités parfois très importantes, il n’en demeure pas moins que la lutte contre ce phénomène qui reste très politique et institutionnel, tarde à porter des fruits. C’est dans cet ordre d’idée que les économistes mettent en évidence quatre mécanismes par lesquels des disparités bilatérales dans les valeurs commerciales peuvent se produire. Il s’agit en l’occurrence de « la surfacturation des exportations, la sous-facturation des importations, la sous-facturation des exportations et la surfacturation des importations ». Selon Léonce Ndikumana, Professeur au Département d’économie de l’Université du Massachusetts Amherst et Directeur du Programme de politique de développement africain Institut de recherche en économie politique (PERI), «les disparités sont dues à une mauvaise facturation délibérée, mais elles peuvent également résulter d’une classification incohérente des produits entre les partenaires et dans le temps, d’incohérences dans l’enregistrement de l’origine et de la destination des produits, ou du commerce de transit, qui peut entraîner l’enregistrement d’un pays de destination différent du pays réel où les marchandises sont expédiées ».
Source : datacameroon.com